jeudi 15 mars 2007

La suite...

Couleurs

L’air est plein de sourires. Tout respire une fraîche ivresse. Les maisons et les ruines de briques ne sont plus que couleur, et roses comme d’immenses espaliers de fleurs.
Dans toutes les rues, fussent les plus belles, aux fenêtres, entre les boiseries vertes, jaunes ou rouges, une corde est tendue et là, blanc ou de couleur, pend mouillé le linge de la famille. Il sèche au grand soleil. Ce sont de francs pavillons admirables à voir dans l’air bleu. Rien ne décore mieux les vieilles maisons brunes. (Suarès)

Le ton roux des ruines au soleil. On distingue nettement l’ancienne ville qui fait comme une masse grise et rousse, avec ses vieilles toitures de tuiles, ses pans de murs gris, au milieu de la ceinture des quartiers nouveaux aux toitures luisantes, aux façades crues et blanches, percées de rangées de fenêtres. (Zola)
…ce teint de brique que j’ai aimé ici voir jouer, contre le vert sombre des collines et l’ocre délavé des rues, et flamber comme nulle part aux rayons du soleil bas. (Julien Gracq)
…parmi une abondance de jaunes ternis et de bruns-rouges délavés, on rencontre çà et là un bel ocre orangé qui conserve, sous une patine très lentement formée, un éclat chaleureux, une densité sereine… (Valéry Larbaud)

Coucher de soleil sur le Tibre. Ces maisons délicieusement roses et grises dans le ton du dessous de ces champignons qu’on appelle des mousserons. (Claudel)

Tout est incommensurablement grenat, incommensurablement rose, incommensurablement jaune, incommensurablement vert, incommensurablement violet.
C’est tous les soirs ainsi. C’est Rome.
A moins qu’il ne pleuve. (Cingria)
Les fontaines

La plus belle partie de Rome à mon gré, ce sont les fontaines. Il n’y a presque point de place vide où l’on n’en trouve une ou plusieurs. On en rencontre à chaque pas le long des rues, dans les maisons, dans les jardins, partout. Je n’imagine point d’ornement dans une ville comparable à cette profusion de sources et d’eaux jaillissantes ; elles me font plus de plaisirs encore que les bâtiments. (De Brosses)
Pour orner Paris, il faudrait y faire des fontaines, comme à Rome. (Montesquieu)

C’est le bruit des voitures que l’on a besoin d’entendre dans les autres villes, à Rome c’est le murmure de cette fontaine immense qui semble comme l’accompagnement nécessaire à l’existence rêveuse qu’on y mène [Fontaine de Trévi]. (Mme de Staël)
Il fait nuit : voici que s’élève plus haut la voix des fontaines jaillissantes. Et mon âme, elle aussi, est une fontaine jaillissante. (Nietzsche)

Qu’y fait-on ?
J’admirais tout ce qu’on me disait d’admirer. (Julien Green)

Je sortais le matin seul, avant que le mouvement de la ville pût distraire la pensée du contemplateur. J’emportais sous mon bras les historiens, les poètes, les descripteurs de Rome. J’allais m’asseoir ou errer sur les ruines désertes du Forum, du Colisée, de la campagne romaine. Je regardais, je lisais, je pensais tour à tour. (Lamartine)

On laisse ses jambes aller, et on flâne. Point de cicerone, c’est le moyen de ne rien voir et d’être assourdi. … Le matin, on déjeune au Café Greco ; le café, qui est excellent, coûte trois sous la tasse. Cela fait, je vais dans un musée, dans une galerie, presque toujours seul. Tout en vaguant dans les rues, j’entre dans une église. Rentré chez moi, je lis une heure ou deux, et j’achève de griffonner mes notes. A mon sens, Rome n’est qu’une grande boutique de bric-à-brac ; qu’y faire à moins d’y suivre des études d’art, d’archéologie et d’histoire ? Le soir venu, on appelle un fiacre et l’on fait des visites. (Taine)
Je dessine et je colorie aussi assidûment. (Goethe)

Sortis de chez nous, ce matin, pour voir un monument célèbre, nous avons été arrêtés en route par une belle ruine, et ensuite par l’aspect d’un joli palais où nous sommes montés. Nous avons fini par errer presque à l’aventure. Nous avons goûté le bonheur d’être à Rome en toute liberté, et sans songer au devoir de voir. (Stendhal)
…vous ne pouvez rien faire de mieux que d’aller souvent à la villa Borghèse vous asseoir dans l’herbe –sur une couverture épaisse. (Henry James)
… là j’avais toujours quelque occupation, sinon si plaisante que j’eusse pu désirer, au moins suffisante à me désennuyer : comme à visiter les antiquités, les vignes, qui sont des jardins et lieux de plaisir. (Montaigne)
… en allant voir l’Aqua Paola, l’arbre du Tasse, le Tempietto de Bramante ; allant m’asseoir, prendre des glaces ou des tamaringo (exquis sirop de dattes) chez Aragno ; allant à la porte des musées, le matin, n’y entrant pas : préférant aller m’asseoir sur des blocs ou des colonnes à flanc sur la terre ou peu d’herbe, ainsi, toute la journée. Ou bien faire ce que j’ai dit : prendre ce tram, s’il pleuvait, et jouir ainsi infiniment d’une déambulation limitée. (Cingria)

… et qu’en rapporte-t-on ?
Le soir, nous revenions à la ville, notre voiture remplie de fleurs et de débris de statues. (Lamartine)
Je me suis procuré une collection de deux cents meilleures empreintes de pierres gravées antiques. Combien de bonnes choses je rapporterai quand je reviendrai avec mon petit bateau ; mais avant tout un cœur joyeux, plus capable de jouir du bonheur que l’amour et l’amitié me réservent. (Goethe)

D’autres rapporteront de Rome des tableaux, des marbres, des médailles, des productions d’histoires naturelle : moi j’en rapporterai des sensations, des sentiments et des idées ; de celles qui naissent au pied des colonnes antiques, sur le haut des arcs de triomphe, dans le fond des tombeaux en ruines, sur les bords mousseux des fontaines. (Dupaty)

Rome, un lieu pour se consoler, renaître, se connaîtreO Rome, mon pays ! Cité de l’âme ! / Ceux dont le cœur est orphelin doivent se tourner vers toi… (Byron)

… elle a des secrets pour adoucir les chagrins, elle leur ouvre son grand reliquaire de ruines, comme un bazar de remèdes ; elle sait parler la langue des consolations. (Méry)

La pointe de la douleur est émoussée, non que le cœur soit blasé, non que l’âme soit vide, mais une harmonie plus parfaite, un air plus odoriférant, se mêlent à l ‘existence. (Mme de Staël)

Je suis allé à Rome uniquement pour différer ma déchéance qui se poursuivait sans relâche, presque sans aucun espoir de salut… Tout à coup j’ai respiré. A Rome, j’ai recommencé, ce qui ne m’était plus possible depuis bien des années, à prendre des notes, à faire en général des réflexions sur tout, qui n’étaient pas seulement de celles qui se rapportaient toujours à ma propre fin… Soudain je me suis de nouveau intéressé à tout et n’importe quoi, même à la situation politique, à laquelle je ne m’intéressais plus depuis des années. A tout les soi-disant objets d’art. Aux gens … J’ai regardé Rome par-dessus la Spagna et j’ai respiré longuement et j’ai eu le sentiment d’être sauvé. Je ne partirai plus d’ici, me suis-je dit en ce premier instant. J’étais debout à la fenêtre ouverte et je me disais, j’y suis, j’y reste, plus rien ne me fera partir d’ici. (Thomas Bernhard)
Je date une seconde naissance, une vraie régénération, du jour où j’ai foulé le sol de Rome.… Maintenant je suis ici, tranquille, et à ce qu’il me semble apaisé pour toute mon existence. … Bien que je sois toujours encore le même, j’ai le sentiment d’être transformé jusqu’à la moelle des os. (Goethe)

C’est à Rome que je conçus, pour la première fois, l’idée d’écrire les Mémoires de ma vie. (Chateaubriand)
Je me trouvais ce matin, 16 octobre 1832, à San Pietro in Montorio, sur le mont Janicule, à Rome, il faisait un soleil magnifique… Ce lieu est unique au monde, me disais-je en rêvant… Je vais avoir cinquante ans, il serait bien temps de me connaître… Qu’ai-je donc été ?… Je devrais écrire ma vie. (Stendhal)

Regrets et rejets

Je me pourmene seul sur la rive Latine, / La France regretant … / Ne voyant que l’orgueil de ces monceaux pierreux…
Plus me plaist le sejour qu’ont basty mes ayeux, / Que des palais Romains le front audacieux, / Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine, / Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin, / Plus mon petit Lyré que le mont Palatin : / Et plus que l’air marin la douceur Angevine. (Du Bellay)
Pour ma part, j’ai visité Rome à soixante-six ans, ce qui ne témoigne pas d’un sentiment d’urgence fébrile. … Je n’ai pas été tout à fait conquis par Rome. … une ville où la lumière transparente ne peut donner le change sur le fait que trop de poussières y sont perpétuellement en suspension. … J’ai étouffé dans l’émerveillement - un peu comme dans le confinement d’un musée sans fenêtres : bouillonnement esthétique en vase clos, excès dans l’entassement d’art associé à un manque d’espace et de lointains. (Gracq)
L’harmonie d’un pêle-mêle

J’aime ces églises catholiques mêlées aux simulacres païens, le signe de Christ sur l’obélisque de Ramsès, la tiare à côté de Neptune. (Méry)

Les plâtres neufs, à côté des vieilles façades lépreuses. (Zola)
Il y avait aussi, dans ce singulier espace, de la campagne, de la banlieue, du musée en plein air, du cimetière abandonné, de la ferme maraîchère et de la guinguette. (Jules Romains)

Les dépôts matériels des siècles successifs non seulement se recouvrent, mais s’imbriquent, s’entre-pénètrent, se restructurent et se contaminent les uns les autres… Rome, un bric-à-brac somptueux de matériaux urbains dépareillés en instance d’assemblage ou de réemploi… c’est comme un magasin encombré qui n’évacuerait jamais de ses rayons les laissés pour compte, les pousserait seulement un peu de côté pour faire place aux arrivages. (Gracq)

La variété des époques, des styles, des personnalités, des contenus de vie qui y ont laissé leurs traces, sont dans une tension plus importante que nulle part ailleurs dans le monde, et malgré tout, ceux-ci s’entrelacent en une unité, une harmonie et une affinité comme nulle part ailleurs dans le monde. (Simmel)
Rome, c’est
La grande école pour le monde entier. (Winckelmann)
Un ensemble unique, comme la Mecque. (Renan)
Le plus complet abrégé de la culture européenne.
Elle est faite des plus graves fragments de l’humanité. (Barrès)
Une ville rapiécée d’étrangers ; chacun y est comme chez soi. (Montaigne)
Un lieu excitant pour la pensée. (Mme de Staël)
L’actuel centre du monde. (Thomas Bernhard)
Une poignée de terre. (Yves Bonnefoy)
Une sélection de Françoise L. avec des photos de CP